Le moteur continuait à tourner en crachotant, tandis que je me démenais pour trouver l’interrupteur d’arrêt. Les eaux de ruissellement s’écoulant encore sur la face avant du grès à cause de la pluie récente, j’ai fait quelques pas en arrière en essayant de me ressaisir. Sur le point d’ajouter l’insulte à la blessure, j’ai trébuché alors que mes pieds glissaient sur l’argile humide. Le bruit des battements de mon cœur assourdissant à mes oreilles, je me penchai, les mains sur les genoux, pour tenter de reprendre mon souffle. J’ai poussé un long soupir agacé en regardant ma moto, toujours à l’envers, les roues en travers des rochers.
Vous est-il déjà arrivé d’avoir l’impression de ne pas pouvoir vous arrêter ? Je ne doute pas, et la plupart des motards seront d’accord, que la nature a le don de vous faire savoir qui est le chef. Cette situation me rappelle la citation suivante : “les aventures ne sont jamais amusantes quand on les vit“.
En regardant ma fidèle Honda renversée sur le grès du Burgenland après deux tentatives, je revoyais les diverses erreurs que j’avais commises au cours des jours précédents. Sans le savoir, à quelques heures d’en commettre d’autres, j’ai rapidement été confronté aux limites de ma définition du mot “fun”. Dans l’espoir d’aider d’autres motards dans ce voyage, j’ai pensé que je pourrais partager certaines des épreuves et des tribulations de mon dernier voyage.
IL Y A UN MONDE ENTIER ENTRE VOYAGER LÉGER ET LE CONFORT
À ce stade, mon arme de prédilection pour l’aventure est une moto bi-sport japonaise de petit calibre. Elle peut rouler sur l’autoroute à condition de rester à droite, c’est un plaisir sur les petites routes de campagne, et avec un peu d’habileté, de finesse et de condition physique, elle peut aller à peu près n’importe où. Ce qu’elle ne peut pas faire, c’est emporter des bottes de rechange et un barbecue de camping. Enfin, elle pourrait certainement, mais pas les deux choses en même temps.
Pour moi, voyager léger signifiait emporter une tente pour un seul homme. Il n’y a aucune exagération dans cette expression, il s’agit littéralement d’un homme, de deux bottes, d’un casque et d’un sac de couchage. Tout le reste vit à l’extérieur, sous le double toit, boutonné pour éviter l’invasion de toute espèce animale.
Il était hors de question d’emporter un deuxième équipement. Étant donné que c’était le printemps, je devais me contenter d’un équipement complet pour tous temps, quitte à étouffer au soleil, ou à mourir de froid si les conditions météo devenaient aléatoires. La “tenue de camping” (comprenez quand je n’ai pas mon équipement moto sur le dos) se résumait au T-shirt du jour et à un pantalon cargo. Pour beaucoup de personnes dans des circonstances similaires, un espace de transport limité signifie porter des bottes moto toute la semaine, mais j’ai décidé de faire des folies en achetant une paire de tong…
Rouler avec un Camelbak pour l’eau signifie que je peux rester hydraté n’importe où. La poche arrière me permet de toujours transporter un en-cas, un couteau suisse et un filtre d’urgence sans occuper un espace trop important dans mes sacoches.
Les vrais sacrifices ont été faits au moment de choisir le mode de couchage. À mon âge, je me suis rendu compte que j’étais trop fatigué pour dormir sur le sol, donc un matelas gonflable était indispensable. Heureusement, je tenais à emporter les outils nécessaires pour réparer une crevaison sur le terrain, et mon gonfleur de pneus 12 V sert également de pompe à air pour le matelas. J’ai tendance à dormir bien au chaud, donc un sac de couchage fin qui se réduit à rien permet d’économiser de la place pour des t-shirts et une serviette supplémentaires. C’est ça le problème, je déteste être mouillé…
MÈRE NATURE NE COOPÈRE PAS
Ici, en Autriche orientale, affronter à la pluie lors d’un voyage en moto est une évidence. Les équipements modernes sont “presque” imperméables, mais après des heures sous le déluge, une chute malencontreuse dans une “flaque”, ou encore, une coupure dans votre équipement coûteux sur une corniche de grès, et forcément vous allez être mouillé. Être mouillé en soi n’est pas si grave, pendant un certain temps, mais emballer une tente mouillée ou son sac de couchage trempée est une véritable galère. Si vous pouvez allumer un feu, le séchage de l’équipement n’est pas si difficile. Mais comme je l’ai découvert, des journées entières de pluie ont réduit à néant la possibilité d’utiliser du bois de chauffage sec et le petit bois d’allumage.
Étant donné que je roulais en solo, j’ai choisi de souffrir dans un équipement 4 saisons plutôt que d’encombrer l’espace avec plusieurs types de vêtements moto selon les conditions. Heureusement, cela m’a permis d’économiser de l’espace pour une bâche afin de garder le sol de la tente au sec.
Les bottes ont été une autre décision difficile à prendre. Ce qui est amusant avec les bottes imperméables, c’est qu’après avoir été suffisamment exposé au sable et à l’argile des sentiers, je n’ai pas encore trouvé de bottes qui empêchent vraiment l’eau de pénétrer. Inversement, après avoir traversé un ruisseau, j’ai découvert qu’elles peuvent garder l’eau à l’intérieur pendant des jours. Donc j’avais décidé de porté des bottes de motocross ordinaires et des chaussettes imperméables. Bon, les chaussettes réellement imperméables n’existent pas non plus, et finalement les sacs plastiques des stations-service locales enroulés autour des godasses feraient bien mieux l’affaire. Question de style…
Tout comme l’équipement, les doublures imperméables des sacoches en toile modernes finissent par s’user. J’ai fait cette découverte à mi-parcours de ce périple. Heureusement, j’avais déjà emballé la plupart des trucs importants dans des sacs de congélation pour les protéger de la flotte. Bien que la flexibilité, au sens propre comme au sens figuré, soit appréciable, j’aurais du prendre des sacoches en toile plus volumineuses, un investissement que j’ai fait immédiatement après mon retour à la maison.
Comment navigue-t-on lorsqu’il pleut ? Faut-il s’arrêter sur le sentier et attendre ? Faire demi-tour et s’arrêter pour la journée ? Avec un GPS moto, la pluie n’est pas un problème, à condition d’avoir une bonne installation étanche pour le recharger pendant la conduite. Croyez-le ou non, j’ai tué mon GPS après l’avoir longuement exposé aux intempéries. Merde, c’est prévu pour ça normalement, non ? J’ai depuis adopté un téléphone portable comme principal moyen de navigation. C’est toujours aussi pénible d’emballer un téléphone dans un sac congélation et d’espérer que la batterie tienne jusqu’à ce que je trouve un endroit sec où m’arrêter. Il y a toute une discussion sur les étuis étanches et les recharges sans fil pour les téléphones, mais je garderai cela pour une autre histoire. Inversement, j’ai pris soin de mettre dans ma sacoche un jeu de cartes IGN étanches au cas où les choses tourneraient mal.
LES FINESSES DE LA VIE EN PLEIN AIR
La lutte contre la pluie est une question de confort par rapport à l’humidité, mais je m’en voudrais de ne pas raconter mon expérience avec la faune et la flore. Les vipères sont monnaie courante dans la forêt d’Autriche, et je m’assure donc toujours de choisir judicieusement un arbre couché ou une bûche sur laquelle m’asseoir pour faire une pause. Ce que j’ai oublié, c’est qu’après des jours de fortes pluies printanières, les tiques sont prolifiques. Au fil des jours, j’ai arraché trois tiques de ma peau et au moins autant de ma veste. Il aurait été préférable de porter un vêtement contenant du détergent, ainsi que quelque chose de mieux qu’un t-shirt pour les randonnées. Naturellement, je déteste me glisser dans un sac de couchage qui empeste l’insecticide, mais il ne fait aucun doute que j’ai crânement tenté ma chance, car la maladie de Lyme ne passera pas par moi !
REDÉFINIR LE PLAISIR
Après avoir fui la pluie pendant trois jours, abandonné ma monture et manqué l’occasion de camper sur un point de vue isolé, je me suis rendu compte que je n’étais apparemment pas préparé ou trop impatient pour vivre l’aventure que j’avais envisagée.
Une tente pour un seul homme est extrêmement légère, mais il n’y a pas de place pour enlever les vêtements Gortex trempés et les bottes sans mettre de la boue partout dans la tente. Il y a à peine de la place pour s’asseoir en position verticale, ce qui n’est pas très agréable lorsqu’il faut attendre lors d’un jour de pluie.
Ma haine de l’humidité l’emporte apparemment sur ma nature de gitan. Même si je me sentais prêt et avais envie de rouler partout où le vent me porterait, j’ai découvert que j’étais bien plus un aventurier de “camp de base” qu’un premier de cordée. La moto chargé testait les limites de la suspension et tanguait comme un bateau sur les sentiers techniques. Ma patience avec la machine s’épuisait tandis que les heures s’égrenaient et que ma soif d’aventure restait insatiable.
A partir de maintenant, j’envisage de monter un camp pour une journée et de partir avec une moto à sec sur les sentiers. De plus, il est préférable d’attendre le temps en toute tranquillité plutôt que de lutter inutilement contre les éléments. Si le temps est le facteur déterminant, je serais bien avisé de réduire l’aventure de quelques crans et d’investir dans une cabane avec une douche chaude et un auvent sous lequel garer ma bécane le week-end.
Enfin, il est essentiel de connaître les capacités de la moto. C’est bien d’avoir une moto et des compétences qui permettent d’accomplir n’importe quoi en cas de besoin, mais j’avais beaucoup plus de plaisir à utiliser ma bécane pour l’usage auquel elle était destinée qu’à repousser ses performance jusqu’aux limites.
L’aventure n’a pas la même signification pour tout le monde. Il a fallu que je sois trempé pendant des jours, que je casse des pièces en plastique et que je sois mangé vivant par des insectes pour me rendre compte de la définition que je donnais au mot “plaisir”. Une fois que j’ai compris cela, j’ai été beaucoup plus heureux et j’ai trouvé l’aventure et les paysages accidentés que je recherchais.